Mésotheliome péritonéal
Epidémiologie
Le mésothéliome péritonéal est une pathologie rare qui se caractérise par l'envahissement diffus des surfaces péritonéales. L'incidence des cas de mésothéliomes pleuraux et péritonéaux a universellement augmenté depuis 1970. Dans les pays industrialisés, son incidence est estimée aujourd'hui de 0,5 à 3 cas par million d'habitants chez l'homme et de 0,2 à 2 cas par million chez la femme [1]. Le mésothéliome péritonéal représente 1/5 à 1/4 de toutes les formes cliniques de mésothéliome [2].
L'âge moyen de survenue est de 50 ans (17 à 76 ans) et cette pathologie touche avec la même fréquence les 2 sexes [3]. Son pronostic est très réservé en l'absence de prise en charge thérapeutique adaptée ou de simple traitement médical avec une médiane de survie estimée à 1 an [4]. Par contre, le pronostic apparaît meilleur chez la femme du fait de formes histologiques moins invasives [5].
Etiologies
Par rapport au mésothéliome pleural, il existe encore un doute sur la relation entre l'exposition à l'asbestose et le développement d'un mésothéliome péritonéal même si plusieurs études récentes apparaissent l'établir, en particulier chez l'homme [1,6]. De nombreux agents carcinogènes ont été identifiés depuis le premier cas rapporté de mésothéliome pleural en relation avec une abestose [7]. Le virus-40 simien a été incriminé et peut être un cocarcinogène [8]. D'autres étiologies possibles comme la radiothérapie abdominale [9], les péritonites chroniques [10], l'exposition au mica [11], l'administration de dioxyde de thorium [12], ont été évoquées. Roushdy-Hammady et al. [13] ont également rapporté récemment une susceptibilité génétique possible, à transmission autosomique dominante, dans une région de Turquie (Cappadociène) après exposition à l'érionite, autre agent carcinogène incriminé [1].
Présentation clinique et moyens du diagnostic
Les circonstances et symptômes de découverte de cette pathologie sont principalement l'augmentation de volume de l'abdomen (secondaire à la présence d'une ascite ou de formations tumorales) et les douleurs abdominales aspécifiques. L'altération de l'état général est rare et ne se retrouve qu'en cas de formes histologiques agressives [3]. L'apparition d'une hernie symptomatique est également rapportée dans 10% des cas. Ce mode de révélation est plus fréquent chez l'homme. La découverte fortuite au cours d'une laparoscopie est plus fréquente chez la femme.
L'examen morphologique de référence pour le diagnostique, le bilan d'extension et la surveillance du mésothéliome péritonéal reste aujourd'hui comme pour tous les carcinoses péritonéales, le scanner thoraco-abdomino-pelvien. Mais il ne permet de dépister que les lésions de plus de 5 mm et il sous-estime largement l'extension intrapéritonéale de la maladie [14].
Le diagnostic positif de mésothéliome péritonéal est souvent difficile et retardé conduisant très souvent à un retard de prise en charge thérapeutique. Tout d'abord, la ponction d'ascite et l'analyse cytologique permet très rarement d'établir un diagnostic. Lorsque des cellules sont retrouvées, elles ont souvent l'aspect d'une banale " hyperplasie mésothéliale " et ne présentent pas les atypies suffisantes pour poser un diagnostic de certitude. La distinction entre mésothéliome péritonéal et carcinose péritonéale d'origine adénocarcinomateuse est souvent difficile [15]. Ainsi, une fois le diagnostic de carcinose péritonéale établi, vont se succéder endoscopies, scanners et autres examens morphologiques jusqu'à la réalisation de laparoscopie pour la vaine recherche d'un adénocarcinome primitif. Le diagnostic de mésothéliome péritonéal doit être suspecté devant la découverte de toute carcinose péritonéale sans tumeur primitive évidente et des colorations immuno-histochimiques adaptées sur les biopsies chirurgicales et/ou radiologiques doivent être réalisées [3]. En général, une coloration positive à la calrétinine et négative au B72.3 sont fortement évocatrices de mésothéliome péritonéal malin.
L'intervention des radiologues ou des coelioscopistes dans le diagnostic invasif doit être prudente. Cette tumeur a en effet une importante capacité de dissémination au niveau des trajets de ponction, des orifices de trocarts de coelioscopie ou au niveau des incisions abdominales. Quelle que soit la méthode invasive utilisée, elle doit passer par la ligne médiane. La mise en place de trocarts latéraux pour la coelioscopie doit être évitée car elle conduit souvent à la diffusion pariétale de la maladie.
Les anatomopathologistes du Washington Cancer Institute ont identifié 7 types histologiques différents de mésothéliome péritonéal parmi 68 patients [3]: le mésothéliome multicystique, le mésothéliome de bas grade, le papillaire bien différencié, l'épithélial, le biphasique, le sarcomateux et le déciduoïde [3, 16].
Prise en charge thérapeutique
Le traitement de cette pathologie a longtemps été palliatif en associant une chirurgie palliative symptomatique et une chimiothérapie systémique. Plusieurs agents chimiothérapiques ont été utilisés (cisplatine, gemcitabine, vinorelbine, raltitrexed Pemetrexed. Malgré des taux de réponses pouvant atteindre 45% dans certaines phases II, aucune chimiothérapie n'a réellement modifiée le pronostic [17] et les médianes de survie rapportées n'ont jamais excédé 15 mois.
Depuis approximativement 2 décennies, une prise en charge thérapeutique plus agressive des mésothéliomes péritonéaux a émergé et a considérablement modifié le pronostic de la pathologie. Elle associe une chirurgie de cytoréduction (et ces gestes de péritonectomies) pour le traitement de la maladie macroscopique à une chimiothérapie intrapéritonéale périopératoire (chimiothérapie post-opératoire immédiate et/ou chimiohyperthermie intrapéritonéale (CHIP)) pour le traitement de la maladie microscopique. Le principe est de réséquer ou de coaguler tous les implants tumoraux supramillimétriques. Cela peut aboutir à des résections du péritoine pariétal ou gestes de péritonectomies bien décrits par Sugarbaker [18] (péritonectomies pariétales, résection de la capsule hépatique, douglassectomie,...) et à des résections viscérales étendues d'organes pleins (épiploon, rate) ou de tube digestif (intestin grêle, colon, rectum). La principale limite de cette approche est le risque de retentissement sur la qualité de vie postopératoire du fait de résections étendues (grêle court, etc) et le risque de mortalité et morbidité postopératoire, intimement lié à l'agressivité du geste chirurgical [14]. Concernant la chimiothérapie intrapéritonéale périopératoire, les protocoles ne sont pas standardisés. La technique la plus largement utilisée est la CHIP utilisant soit en mono- soit polychimiothérapie avec la mitomycine C, le cisplatine et la doxorubicine. Elle peut être associée à une chimiothérapie postopératoire immédiate ou au long cours utilisant le taxol ou le taxotère [19]. Cette nouvelle stratégie thérapeutique permet d'obtenir des médianes de survie de plus de 30 mois depuis 2001.
Evolution et surveillance
Plusieurs facteurs pronostiques ont été identifiés. Les principaux sont représentés par la radicalité de la chirurgie de cytoréduction (autrement dit par le volume et la distribution de la maladie tumorale résiduelle après chirurgie), l'extension initiale (appréciée par la classification de Gilly ou le Peritoneal Cancer Index de Sugarbaker [14]) le sexe (meilleur pronostic chez la femme), le type histologique (types épithélial et papillaire de meilleur pronostic que les types sarcomateux, déciduoïde et biphasique) et l'envahissement ganglionnaire [20-22]. D'autres facteurs pronostiques ont été plus récemment identifiés comme la taille du noyau cellulaire ou le nombre de mitoses [23]. Pour la surveillance, un consensus a été obtenu au cours de l'International Workshop on Peritoneal Surface Malignancies en 2006 à Milan : elle doit se faire par scanner thoraco-abdominopelvien tous les 3 à 4 mois les 2 premières années puis tous les 6 mois. La réalisation d'un dosage de CA125 a également été proposé lorsqu'il était élevé en préopératoire [24].
Références :
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RENAPE - août 2011